«Les entreprises devront faire des choix osés pour le futur» – L’Agefi

Août 21, 2006

«Les entreprises devront faire des choix osés pour le futur»

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L’entretien du lundi – Lundi 21 août 2006 – Enjeux-Suisse

«Les entreprises devront faire des choix osés pour le futur»

 Ancien d’Arthur Andersen, directeur de sa société d’audit, Edgar Brandt juge les PME sans concessions.

Yves Genier

à Genève

Ancien directeur pour la Suisse romande des sociétés d’audit Arthur Andersen, puis Bearingpoint, Edgar Brandt est l’un des meilleurs connaisseurs des forces et faiblesses des cultures d’entreprise suisses. Fondateur en novembre dernier de sa propre société d’audit, Edgar Brandt Advisory à Cointrin, le spécialiste qui s’est fait connaître il y a dix ans par son audit de l’Etat de Genève jette un regard sans concessions sur les entreprises suisses qu’il a appris à scruter en détail.

 

Obligées depuis plus de quinze ans à s’adapter sans cesse, où les entreprises peuvent-elles, doivent-elles encore se restructurer?

J’ai trop de respect pour les entrepreneurs pour arriver devant eux avec des recettes toutes faites du type «il n’y a qu’à» ou «il faut qu’on». Mais je dirais que, de manière générale, on ressent un certain manque de distance critique des chefs d’entreprise par rapport à leurs choix et à leurs réalisations. Il arrive très souvent que l’entrepreneur, pris dans l’urgence du quotidien, voire des décisions opportunistes, s’éloigne de sa stratégie. Notre travail consiste notamment à la lui rappeler afin qu’il en fasse à nouveau le centre de sa vision. L’un des défauts de nos entrepreneurs est aussi de manifester un trop grand «paternalisme» qui les amène à retarder des décisions drastiques comme l’abandon d’un segment ou une délocalisation afin de protéger des emplois. La conséquence, c’est que des décisions nécessaires à la bonne santé des entreprises sont reportées, mettant parfois celles-ci en péril, voire les faisant couler.

Les entrepreneurs sont-ils aussi visionnaires que certains le prétendent?

Disons qu’il y a encore trop de perfectionnisme dans la culture des entreprises, de manière générale. On hésite encore trop souvent à franchir de nouveaux pas tant qu’on n’a pas encore tout bien maîtrisé. Ce souci est certes une qualité au pays des horlogers et des banquiers, mais il souligne aussi un manque d’audace, une culture qui ne valorise pas assez le fait de faire de nouveaux paris, de prendre des risques. Or, il n’est plus possible de suivre le rythme des changements actuels avec un tel souci de la maîtrise du détail. Il faut accepter de perdre le contrôle de certaines choses secondaires.

Assiste-t-on à un changement de culture avec l’arrivée de nouvelles générations provenant d’écoles de management étrangères?

Les succès de certaines start-ups permettent de l’affirmer, mais dans l’ensemble, ce changement est très difficile à saisir.

Avec quel degré de sérieux doit-on considérer la problématique des successions à la tête des PME?

De nombreuses études soulignent le caractère très sérieux du problème. Il doit cependant être relativisé par le fait que beaucoup de très petites entreprises ne vivent que par la personnalité et le réseau personnel de leur fondateur. Beaucoup de ces sociétés n’ont de réelle valeur que dans l’engagement de leur patron.

Les PME rencontrent-elles toujours autant de difficultés à trouver du financement qu’il y a quelques années?

Non, mais à quel prix! D’une part, les banques sont toujours très présentes quand il fait beau, mais reprennent promptement le parapluie lorsque le temps se fait menaçant. D’autre part, les fonds d’investissement veulent avoir un certain contrôle. Tout est question, aujourd’hui, de tolérance de l’entrepreneur face à la réduction de sa marge de manœuvre qu’implique l’entrée d’un fonds d’investissement.

Quels aspects de leurs cultures les PME doivent-elles développer pour accroître leur compétitivité?

Elles doivent développer les relations avec l’étranger en tissant des réseaux d’alliances à l’échelle locale afin de réduire leur exposition au marché domestique, lequel, chacun s’en rend compte, n’est pas suffisant pour assurer à long terme la survie d’une PME suisse de quelque importance. C’est évidemment un constat général. Pour le reste, cela dépend des conditions propres à chaque entreprise.

Constatez-vous un manque de dynamisme des entreprises limitées au marché domestique?

La différence de ces entreprises avec celles qui ont une activité internationale est nette. Elle se perçoit dans la vitesse d’exécution et la mentalité propre à chaque entreprise. Dans une société active à l’étranger, les choses vont plus vite et on sait se montrer plus flexible que dans une entreprise centrée sur le marché intérieur, où l’on est volontiers plus routinier.

Où se situe l’avenir des PME aujourd’hui?

L’avenir réserve de beaux défis aux PME. Celles qui réussiront sont les entreprises qui développeront les bons réflexes qui leur permettront de faire des choix et de se projeter avec confiance dans l’avenir. Si, au contraire, leur préoccupation première est de se protéger, de sauvegarder les acquis plutôt que de progresser, elles auront beaucoup de difficultés à passer le cap. Certes, on assiste à un changement progressif des mentalités et des attitudes, mais ce sentiment est trop diffus pour pouvoir être détaillé et confirmé. Pourtant, toutes les PME se trouvent face au même défi, à savoir comment faire pour éviter que leurs clients trouvent mieux et moins cher ailleurs.

De même, les aides publiques à l’économie devraient être davantage ciblées sur quelques secteurs porteurs, comme la finance ou les sciences de la vie, plutôt que de poursuivre l’arrosage actuel. Certes, lorsque Pascal Couchepin affirme qu’il faut défendre la diversité du tissu économique suisse, il n’a pas tort. Mais un petit pays comme le notre, avec un modeste marché intérieur, doit se demander s’il a vraiment les moyens d’exceller dans un grand nombre de domaines. En clair, il y a des choix à faire.

Le private equity doit examiner les sociétés en profondeur

Comment peut-on faire du private equity avec des PME suisses?

Cette activité d’investissement est pratiquée avant tout par des banques, qui ont une approche essentiellement financière et une analyse bilantaire. Or, il est nécessaire aujourd’hui d’intervenir de manière beaucoup plus profonde dans l’entreprise afin de s’en faire une appréciation correcte et savoir comment créer de la valeur. C’est pourquoi nous agissons de concert avec des banques ou des family offices, notamment en tant qu’instances de pilotage pour certaines opérations. Nous nous insérons dans les schémas de travail élaborés par les banques qui fonctionnent avec des plates-formes ouvertes, en tant que prestataire de services externes.

Quel type d’entreprise se prête à vos analyses?

Il est encore trop tôt pour dresser une typologie. Nous sommes consultés notamment par des family offices pour procéder à des analyses de business cases d’entreprises qui cherchent à se vendre. Je souligne que nous construisons toujours nos conclusions sur la base de nos convictions, même si cela peut nous en coûter en termes de perspectives de mandats. En revanche, nous ne nous impliquons pas dans des activités de capital-risque.

Quelles sont vos perspectives en tant que société indépendante?

Nous cherchons à nous positionner, comme partenaire des investisseurs, des banquiers et de leur clientèle ainsi que des family offices, pour les assister dans l’évaluation, la gestion et le suivi de leurs investissements en private equity. Nous pensons également pouvoir être un relais européen pour les fonds de private equity américains de taille intermédiaire. Ces derniers, face aux risques désormais élevés du marché du private equity aux Etats-Unis, cherchent à investir en Europe. Hormis les plus gros, les autres ne désirent pas ouvrir de bureau de ce côté-ci de l’Atlantique. Notre connaissance de leur culture des affaires nous permet de leur faciliter leur implantation sur le continent, où ils risquent de connaître un certain nombre de déconvenues s’ils essayent d’implanter sans recul leurs méthodes de gestion. – (YG)

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