Newsletter – Mai 2012

Mai 9, 2012

Le “point aveugle” de la décision stratégique

L’annonce récente de la fermeture du siège de Merck Serono à Genève a crée un choc dans la région genevoise. Sans entrer en matière sur l’impact humain de cet évènement et ses conséquences la diversité du tissu économique dans la région, cette annonce peut difficilement être interprétée comme autre chose que l’échec de l’acquisition en 2006 de Serono par Merck.

Toute acquisition est un exercice complexe et risqué, et quand la cible et l’acquéreur ne sont pas actifs sur le même secteur d’activité, la compréhension respective entre les deux parties est d’autant plus problématique. Merck, acteur traditionnel de la chimie industrielle et de la pharmacie chimique, et Serono, groupe important du secteur plus récent de la biotechnologie, ne semblent pas avoir été capables de faire fonctionner le nouvel ensemble.

S’il faut se garder de prendre la position du donneur de leçon en constatant les dégâts, les éléments qui ont transpirés dans la presse récemment sont malgré tout porteurs d’enseignements.

Avant tout, ces éléments mettent en évidence que les analyses qui sont traditionnellement réalisées dans le cadre des diverses due diligences avant acquisition restent trop, et trop souvent, focalisées sur une vue statique de l’entreprise. On achète une entreprise sur la base de ce qu’elle est au « temps t », et pour les projections futures que l’on parvient à rationnaliser sur la base de cette « photo » de la situation actuelle. Dans le cas de Serono, une taille très respectable sur le marché des biotechnologies, un chiffre d’affaires et une profitabilité (dépendant à 80% d’une seule molécule), et un « pipeline » de nouvelles molécules, certes très mince dans le cas qui nous occupe.

Or on apprend que le sort du siège genevois de Merck Serono aurait été scellé en juin 2011 suite à l’arrêt complet du développement de la seule molécule capable de prendre la suite de celle qui réalise l’essentiel du chiffre d’affaires de Serono, ses résultats en phase de tests n’étant pas satisfaisant. De ce point de vue, l’acquisition de Serono au prix fort semble avoir été un pari très risqué. Et cela pose une question essentielle : que savait Merck des défis du développement de médicaments dans le secteur de la biotechnologie, et à quel point étaient-ils au fait des capacités et du potentiel réel des équipes de chercheurs de Serono ? Au vu du prix payé, et de la situation du pipeline de nouvelles molécules au moment de l’acquisition, il nous semble que les dirigeants de Merck ont fait, probablement de manière implicite, l’hypothèse que les équipes de recherche dont ils allaient prendre le contrôle étaient capables de développer les nouvelles molécules à même de remplacer à terme le médicament phare de Serono.

Là est tout le problème. Cette capacité, comme la plupart des composantes dynamique de la création de valeur en entreprise, est le plus souvent l’objet de simples hypothèses lors des acquisitions. On se préoccupe, à juste de titre bien sûr, de la situation juridique, fiscale, financière de la cible, on apprend à connaître ses principaux dirigeants, et le cas échéant l’on fait également le point sur la propriété intellectuelle, etc. Ce que l’on ne fait pas, c’est apprendre à connaître la manière dont la cible génère de la valeur, c’est-à-dire ses principaux processus internes.

Dans le cas de Serono, la question se posait de la manière suivante pour Merck : avec une très forte dépendance à un seul médicament existant et des activités de recherches qui n’ont produits qu’un candidat incertain à la relève, l’acquisition au prix fort ne pouvait logiquement se justifier qu’à une condition : connaître en détail les mode de travail et l’organisation des activités de recherche de Serono, et savoir quelles mesures concrètes étaient requises pour remédier au manque de résultats de ces activités. Il semble bien que les choses ne se soient pas passées ainsi.

Vraisemblablement privés de cette connaissance au moment de l’acquisition, comment les dirigeants de Merck pouvaient-ils ensuite espérer détenir les clefs d’une gestion efficace après l’acquisition ? Nos lecteurs connaissent notre insistance sur l’importance de la compréhension des mécanismes de création de valeur au sein des entreprises comme base de toute forme d’évaluation, et donc de décision. Ce qui peut paraître surprenant ici, c’est que même dans le cadre d’une transaction qui portait sur 16 milliard de francs suisses, l’on semble avoir oublié, ou considéré inutile, de se pencher sur la manière concrète dont la cible pouvait espérer maintenir sa valeur dans la durée.

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