“Le Private Equity ne se réduit pas aux voltiges de Blackstone ou KKR” – L’Agefi

Sep 7, 2007

Lundi 9 juillet 2007

FONDS D’INVESTISSEMENT

Le Private Equity ne se réduit pas aux voltiges de Blackstone ou KKR

En dehors du faisceau des projecteurs, la plupart des acteurs du secteur n’adhèrent heureusement pas aux méthodes parfois contestables des grands fonds.

 

Manuel Wildhaber et Christian Mustad*

Suite à l’entrée en Bourse de Blackstone, et désormais de KKR, de fortes incertitudes se lèvent sur les perspectives futures du Private Equity. Le secteur se scinde désormais clairement en deux courants distincts, avec d’un côté le club très fermé des titans orientés sur des transactions atteignant parfois des dizaines de milliards de dollars, et de l’autre un groupe plus hétérogène d’acteurs focalisés sur des investissements incarnés, vision plus intimiste nécessitant une implication de long terme dans la stratégie et le management des composantes du portefeuille. La situation actuelle pourrait donc se décrire par une séparation du «public private equity» de son paradigme original.

 

Blackstone ou KKR ont changé de métier

Commençons par analyser la différence entre les deux modèles. Traditionnellement, les éléments générateurs de valeur comptent trois dimensions: premièrement, l’entreprise visée rencontre des difficultés à trouver des sources de financement, ce qui permet à l’investisseur d’acheter la cible à bon prix. Ensuite, dans la mesure où les entreprises non cotées ne sont pas scrutées par des armées d’analystes financiers, des lacunes stratégiques ou le potentiel implicite peuvent être exploités au travers de l’expertise de l’investisseur. Troisièmement, l’ingénierie financière permet d’améliorer le profil de la liquidité de l’entreprise et facilite l’accès à de nouveaux crédits.

 

Par contraste, le «public private equity» s’attaque à de grands groupes internationaux cotés et soumis de bonne date à l’attention des marchés, ce qui invalide quelque peu le postulat de la sous-valuation et celui de l’opportunité cachée. Dès lors, la politique actuelle de Blackstone et KKR s’apparente à une «normalisation» de l’institution en direction de la gestion traditionnelle face à de nouvelles contraintes, phénomène annonciateur d’une fin de cycle pour le domaine.

 

Vers un retour à la sobriété monétaire Au-delà l’apparent paradoxe de la cotation d’un fonds de Private Equity, le recours à une approche hybride du financement traduit un changement structurel imminent, annonciateur de difficultés pour les performances de la branche en général. Tout d’abord, l’hypothèse d’un assèchement de la liquidité mondiale et d’un retour à la sobriété monétaire devient de plus en plus crédible, et les dirigeants de Blackstone anticipent sans doute une remontée graduelle et durable des taux, ce qui ferait pencher l’équilibre du financement en direction du marché des actions. Mais au-delà des anticipations macroéconomiques, la vulnérabilité des Goliaths du PE à la fronde des taux d’intérêt trahit la volatilité d’une approche parfois assimilable à de la haute voltige financière. Rappelons encore que Blackstone a jusqu’alors tenté de maintenir son IRR (Internal Rate of Return) autour de la barre des 30% annuels en jonglant avec des actifs avoisinants les 88 milliards de dollars, une tâche extrêmement ardue dans l’horizon du PE actuel. Pour s’approcher de cet objectif, un mélange bien dosé de créativité, voire de témérité (certains diront aussi de cynisme) couplé à une ingénierie financière complexe sont nécessaires. La recette habituelle se compose généralement d’une prise de contrôle et d’un recours agressif à l’endettement, tout en réduisant les coûts variables au maximum par une restructuration massive. Ceci déclenche rapidement une inflation des résultats, et permet aux investisseurs de se rembourser à courte échéance sous forme de dividendes tout en maintenant un nombre restreint de participants. A ces niveaux de gestion multinationale, la qualité du management n’est que rarement un problème, et il s’agit dans la majeure partie des cas d’apporter quelques modifications à la structure contractuelle pour s’assurer de la compatibilité des objectifs individuels des cadres avec celle du fonds. Rajoutons encore que l’augmentation de la dette tend à mettre les cadres devant un fait accompli dont la seule issue est effectivement d’augmenter sensiblement et durablement les flux de trésorerie. Maintenez ensuite la situation pendant quelques mois, le temps de pouvoir relancer une cotation, et le tour est joué: performance garantie pour un risque de liquidité qui ne devrait ressurgir que quelque part en aval de l’OPA. Il en ressort évidemment que cette tactique est extrêmement sensible aux variations des taux d’intérêt. Par conséquent, dans l’anticipation d’un resserrement monétaire, il serait plus judicieux de normaliser quelque peu ses méthodes d’investissement. Et Blackstone d’aller puiser son eau au marché des actions, tout en se protégeant des frondes d’actionnaires (et des autorités fiscales) par une structure juridique complexe et un tant soit peu opaque constituée en «publicly traded partnership».

 

Un autre visage du private Equity

Or, ce genre de stratégie à haute incidence médiatique ne représente qu’une minorité du nombre de transactions dans la branche. En dehors du faisceau des projecteurs, d’autres investisseurs du Private Equity s’éloignent sensiblement des méthodes précitées, et demeurent fidèles au paradigme traditionnel. Cette mouvance se décline en deux types de structures, à savoir les fonds d’une part, et les opérations individuelles. Le dénominateur commun demeure dans la capacité d’agir sur le long terme en se préoccupant du potentiel de développement réel d’une entreprise, sur la base d’un savoir-faire plus proche des métiers de la gestion d’entreprise que de la banque d’investissement. Il est évident que le but ultime du fonds demeure de fournir des rendements supérieurs au marché. Néanmoins, les moyens utilisés pour atteindre ce but s’orientent vers une véritable collaboration entre le fonds et l’entreprise en question, dans des domaines aussi variés que la stratégie, le marketing et la finance d’entreprise. Il s’agit dès lors d’une démarche holistique vers la création de valeur où la performance découlera d’une croissance réelle de l’entreprise, au cours de laquelle toute la science des gestionnaires du fonds est mise à contribution au sein du conseil d’administration de l’entreprise. A rendements égaux, une telle approche implique plutôt une sélection d’entreprises de taille moyenne, pour lesquelles une nouvelle phase de croissance serait envisageable dans la mesure où l’expertise du fonds parvenait à pallier à certaines lacunes ou contraintes existantes. Au niveau de l’investisseur, la participation dans un tel fonds permet d’allier la performance à un certain sens de la responsabilité économique, en finançant un outil puissant d’amélioration du tissu sectoriel, local ou national.

 

Dans cette perspective, l’approche la plus directe et la plus méconnue est celle des prises de participation directes non diversifiées, par le biais d’un LLP, par exemple. Généralement, ce genre d’investissement témoigne d’une sensibilité accrue de l’investisseur à des paramètres autres que celui du rendement absolu sur un risque diversifié, à savoir des considérations stratégiques liées à un patrimoine industriel existant ou la satisfaction d’investir de façon incarnée. Les motivations peuvent donc aussi prendre une dimension quelque peu émotionnelle, peut-être par un processus d’identification avec le sort d’une entreprise particulière. Il est intéressant de souligner que ce type de comportement relève aussi de la dimension culturelle, et concerne souvent des investisseurs pour qui le désir d’identification entre la richesse et sa contrepartie tangible, ou productive, demeure fort. Investir dans un des véhicules les plus novateurs de la finance moderne est donc tout à fait conciliable avec une vision conservatrice du patrimoine, et relève du bon sens, en cette période de désordre monétaire.

 

Les petits fonds seront plus robustes à moyen terme

Indubitablement, les conséquences de développements macroéconomiques adverses sont aussi importantes pour ces deux derniers modèles. Or, si les rendements à deux chiffres devraient bientôt se faire plus rares, le fait d’axer sa stratégie sur des facteurs humains, et non pas primordialement par une manipulation de l’architecture financière, laisse présager une meilleure robustesse à moyen terme. Le développement et la maturation du Private Equity est une force positive pour le renouvellement des entreprises et l’amélioration de la compétitivité, qui a facilité l’ouverture de nouveaux marchés et a permis d’en assurer la pérennité. Dans une époque où la propriété des ressources productives devient plus diffuse et internationale, il est fort compréhensible que certaines transactions gargantuesques captivent l’attention des médias et du public. Mais il ne faudrait toutefois pas laisser l’arbre cacher la forêt.

 

*Edgar Brandt Advisory, Genève

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